Suite à l’annonce récente du lancement de DENOBIO, votre premier démonstrateur de méthanation biologique à taille industrielle, pourriez-vous nous expliquer comment cette installation pionnière contribue à l’industrialisation du recyclage du CO₂ et du biogaz, et quels sont les principaux défis que vous anticipez pour demain ?

DENOBIO est la première installation de méthanation biologique à taille industrielle mise en œuvre par notre société ENOSIS.

C’est également une première française. Unité de démonstration, DENOBIO s’attache à montrer la complémentarité entre méthanation biologique et méthanisation, pour « booster » la production de méthane renouvelable dans les territoires sans consommation additionnelle de biomasse, en recyclant le CO2 émis par la méthanisation. DENOBIO est ainsi intégrée à Energia Thiérache, une unité de méthanisation agricole située à Lesquielles-Saint-Germain (région des Hauts-de-France), qui produit du biométhane injecté dans le réseau de gaz naturel. DENOBIO adresse trois enjeux. Le premier, technologique, consiste à valider la mise sur le marché de notre procédé dans sa forme industrielle. Plus particulièrement, il s’agit de caractériser ses performances au regard de deux modes d’intégration : le couplage aux unités d’épuration du biogaz, afin de traiter le CO2 que ces dernières rejettent, mais aussi leur substitution, grâce au traitement direct du biogaz. Dans tous les cas, le gaz produit par DENOBIO sera injecté dans le réseau de gaz exploité par GRDF. Dimensionnée pour transformer 10% des flux de CO2 ou de biogaz produits par Energia Thiérache, DENOBIO est représentative des installations de méthanation de petites tailles déployables sur le marché français, tout en permettant de se projeter sur les plus grandes unités. Le deuxième enjeu concerne l’acceptabilité des projets de méthanation biologique, tant par la société civile que par les exploitants des sites de méthanisation. A ce titre, des échanges et des visites sont réalisés de manière régulière avec les élus et les habitants du territoire. Par ailleurs, le projet repose sur une collaboration étroite avec le personnel d’Energia Thiérache, afin d’affiner la définition des méthodes d’exploitation du procédé de méthanation en cohérence avec les contraintes des sites de méthanisation. Le troisième enjeu, économique, tient dans l’optimisation des coûts de production, ainsi que dans la caractérisation des mécanismes de marché adaptés à la commercialisation du gaz renouvelable produit par méthanation. Dans cette optique, DENOBIO inclut la conduite d’une démarche de certification « RFNBO » selon l’un des systèmes volontaires reconnus par la Commission Européenne, l’exercice devant permettre de préciser les prérequis opérationnels pour l’octroi du caractère renouvelable ou bas-carbone.

En quoi les innovations technologiques d’Enosis peuvent-elles répondre aux besoins du marché français et favoriser leur adoption à l’international ?

La souveraineté énergétique et la transition vers une économie à faibles émissions de carbone sont des défis majeurs de notre époque. Alors que la consommation globale de gaz est amenée à baisser, seuls les gaz renouvelables ou bas-carbone pourront continuer d’être utilisés. La demande pour ces gaz va être démultipliée : pour l’UE, de 750% entre 2023 et 2030* ; pour la France, de 390% entre 2023 et 2030, et 1 700% entre 2023 et 2050 (scénario de la demande la plus basse). En conséquence, différents modes de production s’avèrent nécessaires. Le procédé de méthanation d’ENOSIS répond à ce besoin de diversification. Appairé aux installations de méthanisation ou de pyrogazéification, il accroît leur production de méthane renouvelable ou bas-carbone sans consommation additionnelle de biomasse, c’est-à-dire sans conflit d’usage des espaces agricoles et forestiers. Dans le cas de la méthanisation en injection, l’augmentation est de 60% en moyenne par site, via le traitement du CO2 contenu dans le biogaz, CO2 aujourd’hui généralement rejeté dans l’air. En 2030, ce sont ainsi près de 46 millions de tonnes qui devraient être émises en Europe, soit l’équivalent des émissions de la Suède en 2020. Si ce gisement est visé par d’autres usages (le transport aérien, l’industrie agro-alimentaire), le potentiel pour la méthanation, et le procédé ENOSIS, n’en reste pas moins conséquent. En assurant de la sorte la production locale d’un gaz renouvelable directement transportable dans les infrastructures existantes, substitut au gaz fossile, le procédé ENOSIS est un levier de l’indépendance énergétique des territoires et de la réduction de leurs émissions de GES. Il s’affirme également comme un investissement « sans regret » pour la flexibilité des réseaux électriques et la filière hydrogène. Couplé à l’électrolyse de l’eau, scénario aujourd’hui préférentiel pour son intégration à la méthanisation, il constitue en effet une passerelle entre le réseau électrique et le réseau de gaz naturel, à même de fournir des services de flexibilité au réseau électrique, dont le stockage des surplus d’électricité renouvelable intermittentes dans le réseau de gaz. Par la même occasion, il constitue un moyen pour stocker l’hydrogène renouvelable ou bas-carbone sous la forme de méthane, dès lors facilement transportable dans les infrastructures existantes de gaz. Désignée sous l’appellation « PtX », un type de couplage sectoriel, une telle intégration est au cœur des politiques énergétiques de pays comme le Danemark.     

*Selon le plan REPowerEU

En tant que président du Club Power-to-Gas, quelles initiatives prévoyez-vous pour promouvoir l’intégration des technologies Power-to-Gas dans le mix énergétique français ?

Le Club Power-to-Gas de l’ATEE a retenu quatre initiatives principales :

+ la mise à jour de la cartographie internationale des installations Power-to-Méthane (P2M), notamment à taille industrielle ;

+ la qualification des leviers de commercialisation du méthane issu de la filière P2M et l’évaluation de la demande pour ce méthane ;

+ l’instauration d’un dialogue avec les pouvoirs publics pour définir un cadre réglementaire pour le « méthane bas carbone » ;

+ et enfin, l’étude du positionnement du P2M comme une filière apportant de la flexibilité au système électrique.